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Un voyage à Dak Nong très émouvant

Dak Nong est une province pauvre des hauts-plateaux née de la partition de la province de Dak Lak il y a 8 ans. Sa population est composée de nombreuses minorités ethniques qui vivent de l’agriculture. En raison de l’éloignement de cette région, il est très difficile pour les personnes handicapées de recevoir de l’aide de la communauté. Par conséquent, ce voyage d’une délégation de Maison Chance, dont le but était de distribuer des fauteuils roulants et de se rendre compte des conditions réelles de vie et de travail, avait une signification toute particulière…

Après un voyage de prospection dans les différences provinces des Hauts-Plateaux et plus spécialement dans la province de Dak Nong fin avril, Tim Aline Rebeaud, la fondatrice de Maison Chance, a reçu de nombreuses demandes d’aide. S’étant rendue compte des besoins des personnes handicapées, Tim a mis sur pied un programme de donation de fauteuils roulants. Afin de s’assurer que le matériel serait bien distribué à ceux qui en ont besoin, des membres du Bureau de projets de Maison Chance ont fait le déplacement pour distribuer directement les fauteuils roulants et faire signer des reçus aux familles en faisant attention à ce que les chaises soient bien adaptées au handicap du receveur. La province de Dak Nong compte 8 districts. Cette fois Maison Chance a choisi de distribuer le matériel dans 11 villages du district de Krong No.

Une voie d’accès chaotique

A cause des nombreuses intempéries des jours précédant le voyage ainsi qu’à cause des camions transportant illégalement du bois, la route nationale 14 entre Saigon et Dak Nong était dans un très mauvais état. La distance est seulement d’environ 400 km mais il faut toute une journée pour la parcourir. Parfois, le chauffeur doit descendre pour vérifier la profondeur d’un grand nid de poule rempli d’eau avant de pouvoir passer. Ainsi une flaque qui semblait inoffensive se révèle finalement profonde et oblige tous les occupants du bus à descendre pour l’en faire sortir. Il est touchant de voir comment la population locale s’arrête spontanément pour aider à dégager le bus. Mais le plus difficile est lorsque le bus doit emprunter des chemins de terre rouge glissants et boueux, la plupart du temps impraticables. Finalement, tout le monde doit descendre et continuer à pied. Malgré tous ces obstacles, les participants gardent le sourire car ils savent que ce voyage est pour la bonne cause.

La province de Dak Nong est traversée par la rivière Serepok, célèbre pour ses magnifiques chutes d’eau. Mais les gens se souviennent aussi de cet endroit à cause des accidents qui s’y produisent, notamment de celui qui a eu lieu 4 mois plus tôt lorsque qu’un bus de tourisme est tombé dans la rivière depuis le pont Serepok, entraînant avec lui près de 40 personnes. Durant le deuxième jour du voyage, notre bus est passé près de cet endroit et Tim Aline a décidé de faire une halte de 10 minutes afin de rendre hommage aux victimes. En regardant la rivière 20 mètres plus bas, la couleur rouge de l’eau rappelant celle du sang, nous sommes bouleversés par l’émotion.

Afin de faciliter les choses pour les personnes handicapées, il a été décidé que le groupe se rendrait directement dans chaque famille pour faire connaissance, se faire une idée plus précise des besoins et leur offrir des nouilles instantanées, du riz et du poisson séché en plus du fauteuil roulant. Deux assistants sociaux de Maison Chance expliqueront l’utilisation du matériel et montreront quelques exercices basiques de kinésithérapie adaptés aux pathologies de chacun. Ce voyage ne durera que 5 jours mais l’objectif fixé est ambitieux car il faudra distribuer 40 fauteuils roulants et 3 paires de béquilles dans les 4 coins du vaste territoire du district de Krong No. En plus de cela, Tim Aline voulait aussi profiter de l’occasion pour se rendre compte des conditions réelles de vie et de travail de la population locale dans les zones retirées dans le but d’ouvrir un nouveau centre sur le modèle Maison Chance dans cette région rurale pauvre où le pourcentage de personnes handicapées et d’enfants pauvres qui vivent dans des situations très difficiles est élevé. Les difficultés d’accès pèsent sur la bonne réalisation du voyage mais n’entame pas l’enthousiasme des participants. Le troisième jour, il a fallu louer un tracteur afin de pouvoir amener 5 fauteuils roulants sur le chemin étroit et boueux de 7 km qui relie Gia Nghia à Buon Choah et qu’aucun autre véhicule motorisé ne peut emprunter. Plus les difficultés augmentent et plus nous nous sentons heureux car cela signifie que notre aide atteint des personnes dans des situations vraiment difficiles.

Des rires et des pleurs

Une grande partie du territoire de la province de Dak Nong fait partie de la chaine de montagne Truong Son qui a reçu une grande quantité de dioxine durant la guerre. Quarante années se sont écoulées mais les séquelles de la guerre sont encore bien visibles à travers ces corps qui ne peuvent pas se développer normalement. De plus les coutumes de vie, le niveau d’éducation et le manque de réseau de santé entravent le développement de la région.

Les grandes distances rendent difficile l’acheminement de l’aide, c’est pourquoi les personnes handicapées pauvres de Dak Nong vivent dans des situations très difficiles. Il faudra beaucoup de temps au groupe pour oublier les impressions procurées par chaque rencontre avec les personnes handicapées bénéficiaires de ce programme…

Lors de la visite dans la famille Y Sung (176 Bonphepri, village de Nam N’Dir, District de Krong No, Province de Dak Nong), nous avons tous été bouleversés par un couple de personnes âgées, dont une a des difficultés pour se déplacer, qui doit malgré tout s’occuper de 3 enfants en bas âge. Tim Aline a tenté de convaincre la famille de penser à l’avenir de ces 3 enfants et de les confier à Maison Chance afin qu’ils aient un avenir meilleur. Cependant, les coutumes de l’ethnie M’Nong sont très strictes sur la garde des enfants par des tiers et le groupe a dû repartir bredouille en laissant tous les contacts nécessaires à la famille.

Depuis que son corps a perdu sa force jusqu’à devenir paralysé il y a 6 ans, Pham Van Anh, né en 1968 (66 quartier Nam Tien, Village de Nam Nung) ne connaît du monde extérieur que ce qu’il peut apercevoir depuis sa petite fenêtre. Grâce à la chaise roulante reçue, sa famille a pu le mener dehors pour respirer l’air frais et lui montrer tous les endroits qu’il désirait voir très facilement. On ne peut pas changer son destin, mais nous avons tous oublié notre fatigue en voyant le sourire heureux illuminé le visage fermé de cet homme. Il était réconfortant de voir la joie de la famille du petit Pham Van Cu lorsque nous lui avons donné un fauteuil roulant spécialement adapté aux enfants souffrant de paralysie cérébrale. Cu est paralysé depuis 12 ans et ses parents doivent se relayer pour le porter chaque fois qu’il faut le déplacer ce qui est très pénible. Cette chaise roulante leur rend un peu de liberté et Cu était très excité de s’y asseoir. Comme s’il pouvait sentir la joie de toutes les personnes réunies, il a essayé de prononcer le mot « merci » sous les applaudissements de la foule.

Au soir du troisième jour, nous devons abandonner notre bus au pied de la montagne pour escalader la route escarpée parsemée de « nids d’éléphants » remplis d’eau qui mène au hameau de Nam Giao, village de Nam N’Dir. Il y a là un village de l’ethnie Thai crée il y a une dizaine année où les gens vivent très simplement dans quelques dizaines de maisonnettes, coupés du monde extérieur. Après de nombreuses demandes, nous sommes conduits à une petite maison de bois au milieu de village. En l’espace de 5 minutes, les 12 m2 se remplissent d’une trentaine de curieux venus voir ces étranges visiteurs. C’est la maison de Ban Van Chung, un malade atteint de paralysie cérébrale congénitale. Chung vit avec sa mère âgée de 70 ans. Comme la famille est dans la catégorie des familles les plus pauvres, depuis plus de 20 ans, le monde de Chung se résume à 4 murs car il ne peut pas se déplacer. Malgré cela Chung a une bonne visualisation du monde qui l’entoure. On peut dire que le fauteuil roulant que nous lui apportons lui ouvre un nouveau monde, un monde qu’il n’a pas pu apprécier depuis sa naissance.

Mais l’épisode le plus émouvant de ce voyage ne se passa que le dernier jour, juste avant le retour en ville. La veille, une personne âgée qui était sur la liste des receveurs et dont la santé était bonne nous a demandé de donner son fauteuil roulant à quelqu’un qui en aurait plus besoin. Nous nous sommes donc efforcés de trouver un nouveau bénéficiaire. Guidés par la providence, nous sommes arrivés au hameau de Tan Lap, village de Nam Nung, un autre village de l’ethnie Thai au cœur de la forêt de Nam Nung. Dans une maison en bois délabrée, un jeune homme est couché sur une très veille natte dans une position bizarre, sa bouche et sa langue bougeant de façon incontrôlée. Ce jeune homme s’appelle Luong Van Su et est né en 1990. Il s’est marié l’année passée et son fils est né il y a un peu plus d’un mois. Cependant Su ne peut pas ressentir le bonheur d’être père comme tout le monde car il a été frappé de plein fouet par la maladie il y a 3 mois. Les membres de sa famille nous ont expliqué de Su a d’abord eu de la fièvre, puis a ressenti un engourdissement et finalement une paralysie totale. Depuis 2 mois, Su ne peut plus parler et ne dort plus. Sa famille l’a emmené à l’hôpital mais les médecins ne sont pas parvenus à identifier sa maladie. Après 2 jours d’hospitalisation, il a dû rentrer chez lui faute d’argent. Depuis lors, la guérison de Su est entre les mains du chaman mais malgré les dettes contactées pour répondre aux exigences du chaman, l’état de Su s’aggrave. Cette fois-ci, la famille ne sait plus où trouver l’argent pour acheter la chèvre, les 4 cochons, les 12 poules et les autres choses demandées par le chaman pour faire sortir le mal du corps de Su…

En voyant la situation de Su, Tim Aline décide de financer le voyage de Su à Saigon afin qu’il puisse être soigné. A la surprise générale, car depuis 2 mois il n’avait pas prononcé un seul mot, Su répond : « Déjà » quand Tim lui demande s’il a déjà été à Saigon. Durant les 12 heures que dure le voyage de retour, Su a dormi tout son soûl après 2 mois d’insomnie. Sa mère, qui est également du voyage, pleure à chaudes larmes durant tout le trajet devant la bonne fortune qui touche son enfant. La vie est pleine d’événements heureux, c’est pourquoi il ne faut jamais perdre espoir.

N’écoutant que son cœur…

Si ce programme de distribution de fauteuils roulants ne peut qu’améliorer la qualité de vie des personnes handicapées pauvres des Hauts-Plateaux, Tim Aline a un objectif plus large qui est de développer des activités sur le long terme. Dans la soirée du 2e jour, avec l’aide d’un groupe de jeunes de la région, nous avons réussi à atteindre le hameau de Choaih par une route montagneux et boueuse. Ce petit village dans lequel vivent des membres des minorités E-de et M’Nong dépend du village de Duc Xuyen. Il y a quelques dizaines de maisons qui abritent environ 360 personnes qui non seulement n’ont pas assez à manger mais qui n’ont pas accès à une éducation de qualité car l’école, qui n’a que 2 salles de classe pour 6 degrés, est dans un état avancé de délabrement. L’accès à l’eau potable est aussi un problème à résoudre… Mais à cause du manque de temps, Tim a promis de revenir étudier la question lors de son prochain voyage.

Le voyage fut un succès mais il a aussi apporté de nombreuses interrogations quant aux besoins des communautés montagnardes de Dak Nong qui attendent encore la considération et l’aide de la société.

Huong Vu- Bénévole