# # # # # # # #

Deux mamans

“Parfois je me demande: sans amour maternel, quel chemin aurait pris ma vie?” – Kim Van Phuoc commence ainsi notre discussion.

Comment ma mère biologique m’a abandonné

La mère biologique de Phuoc a des problèmes mentaux et vivait dans la rue pour gagner sa vie. On ne sait pas clairement qui est son père. Phuoc a été abandonné par sa mère quelques jours après sa naissance et ne l’a plus revue. Il a grandi avec sa grand-mère maternelle et sa tante dans des conditions difficiles. A six ans, sa grand-mère a voulu le mettre à l’école comme les autres enfants mais Phuoc a refusé et a insisté pour aller mendier dans la rue. Ainsi, tous les jours, Phuoc vendait des billets de loterie dans les environs du pont Ong Lanh (district 1, Ho Chi Minh Ville) et rentrait à la maison le soir pour donner son gain à sa tante. Grâce à son agilité, ce petit garçon qui ne savait pas écrire pouvait vendre plus de 500 billets par jour.

Un jour, alors qu’il s’était endormi de fatigue dans un café, on lui a volé tous ses billets et son argent. Excédé, son oncle le frappa très durement et recommença le lendemain. Craignant d’être à nouveau frappé, Phuoc décida de quitter la maison.

Phuoc a sept ans et erre dans les rues comme les feuilles mortes prises dans un tourbillon. Ainsi lorsque quelqu’un lui promet de l’amener dans un foyer et de l’envoyer à l’école, Phuoc le suit tout de suite. Mais la réalité est tout autre : Phuoc et une dizaine d’autres enfants sont contraints d’aller cirer des chaussures de l’aube au crépuscule et battus en cas de protestation… Après un an de vie dans la peur, Phuoc a très envie de retourner dans sa famille mais il ne se souvient plus de leurs noms exacts et de leur adresse. Heureusement, à partir du peu d’informations dont Phuoc dispose, une dame au bon cœur demande à la police de l’aider à retrouver sa famille.

De retour dans sa famille, Phuoc retourne vendre des billets de loterie. Quelques mois plus tard, sous l’influence de ses amis, il utilise son argent pour jouer à des jeux et quitte une nouvelle fois la maison. Un après-midi pluvieux de 1993, Phuoc aperçoit une jeune fille étrangère dans un café de la rue Pham Ngu Lao. Il s’approche d’elle pour lui demander de l’argent mais elle lui répond : « Je n’ai pas d’argent pour toi, mais je peux te donner une famille si tu le veux ? »

Comment j’ai abandonné ma mère adoptive

Cette personne est Tim Aline Rebeaud qui a aidé depuis 20 ans des centaines d’orphelins, d’enfants des rues et de personnes handicapées. Phuoc n’avait pas confiance en elle à cause de ses mauvaises expériences passées mais comme il avait froid et faim, il accepta de la suivre dans un foyer situé dans une ruelle de Binh Hung Hoa. Phuoc raconte : « Lorsque je suis arrivé, il y avait déjà une dizaine d’enfants comme moi et des personnes handicapées qui vivaient dans cette maison. Il n’y avait que quelques lits pour les personnes handicapées. Tous les autres, Tim incluse, devaient dormir par terre mais l’ambiance était affectueuse comme dans une famille et je me suis rapidement attaché à cet endroit ».

A cette époque, la totalité des frais pour cette dizaine de personnes reposait sur les revenus de la vente des tableaux de Tim Aline et sur quelques films publicitaires. Phuoc raconte : « Parfois, Tim ne trouvait pas de travail et le soir nous n’avions que du riz blanc à manger. Nous les enfants, nous allions attraper des poissons dans les champs inondés des alentours. Mais même dans les moments les plus difficiles, Tim ne nous oublie pas. Elle engage un professeur pour nous apprendre à écrire, elle nous apprend à dessiner afin que nous ayons un métier tout en continuant à apprendre le vietnamien pour nous comprendre. En y réfléchissant maintenant, je regrette profondément de l’avoir autant dérangée… ».

Mais attiré par la vie dans la rue, l’indomptable Phuoc n’a pas écouté les conseils de sa nouvelle maman. Peu de temps après son arrivée, il est parti, obligeant Tim à le chercher partout. Combien de fois Tim a payé des cours de formation professionnelle et autant de fois Phuoc a abandonné après seulement quelques leçons jusqu’ au point où le petit garçon indiscipliné allait être renvoyé par la direction du foyer mais Tim s’est battue pour que Phuoc puisse rester. « Parmi tous les enfants de Tim, je suis peut-être le plus indiscipliné mais elle a toujours été patiente avec moi guidée par l’amour. Une fois, poussée à bout par mon comportement, Tim m’a giflé et a tout de suite fondu en larmes. C’est l’unique fois où elle m’a frappé, mais cela m’a réveillé parce que je savais qu’elle était désespérée par mon attitude…”– se confie Phuoc. A partir de là, Phuoc a appris un métier afin de pouvoir avoir une belle vie et de pouvoir sortir du giron maternelle. Quelques années plus tard, Phuoc est tombé amoureux d’une jeune fille pauvre du quartier. Tim, au nom de la famille du marié, a pris en charge tous les frais du mariage du jeune couple.

“Lorsque vous acceptez de prendre un charge un être humain, vous ne pouvez pas faire les choses à moitié. C’est un travail à long terme qui doit être mené jusqu’au bout. J’aime Phuoc comme mon fils et ai donc assez de foi, de patience et d’amour pour l’aider à rester en vie. Phuoc m’a prouvé que cela est vrai car le petit garnement est devenu un homme”. –Tim Aline Rebeaud

Bringing together his two mothers

Phuoc a maintenant sa propre famille et est heureux mais il souhaite retrouver sa mère biologique dont il n’a aucune nouvelle. Après plus d’un an de recherches vaines, il apprend finalement que sa mère erre dans la province de Long An. Bien qu’ils sachent que ce ne sera pas facile de vivre avec elle, Phuoc et sa femme décident de l’accueillir chez eux. Il est touchant d’observer qu’après quelques mois de vie commune, sa mère a repris ses esprits et peut maintenant aider aux tâches du foyer. Phuoc raconte : « Ma vie a traversé de nombreux événements, mais je trouve que je suis très chanceux car j’ai deux mamans ».

Texte et photo: Huong Vu